Marie-Odile Vincent, directrice de la maison de retraite médicalisée Jacques Bonvoisin à Dieppe, est venue rencontrer l’équipe du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, lors d’un Café Bibli, le 14 mars. L’occasion d’avoir un retour d’expérience d’une démarche « fin de vie » qui implique tant les professionnels de l’EHPAD que les patients et les proches.
Un quart de décès se produise en EHPAD par an. A l’échelle de l’EHPAD Jacques Bonvoisin, cela représente 20 résidents par an donc, la question est de savoir ce qu’on fait de cette prise de conscience de la finitude de la vie. Les résidents savent qu’ils vont mourir, ils ne craignent pas de mourir, ils ont peur de disparaître : le nom du mort est enlevé de la boîte aux lettres, le statut informatique du résident change, l’annonce n’est pas toujours faite ou bien faite aux autres résidents et le corps disparaît. Par ailleurs, les résidents plébiscitent l’environnement (les voisins de table, les voisins de chambre) qui, lorsqu’il est perturbé, est difficile à appréhender. Face à ces constats, la micro-société que représente l’EHPAD Jacques Bonvoisin (personnel au sens large et résidents) a travaillé la question de la fin de vie à l’aide de groupes de travail.
Question des membres du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (Centre National Fin de Vie Soins Palliatifs) : De la lecture de votre ouvrage, nous avons l’impression que les résidants ne partagent pas de liens d’amitié. Est-ce une réalité ?
Réponse de Marie-Odile Vincent : Non, ils ne se décrivent pas comme cela. Ils sont voisins mais pas amis. Ce n’est pas parce qu’on partage ce moment de vie, qu’on partage autre chose. C’est aussi un rétrécissement émotionnel dû aux différents deuils. Il y a aussi une résistance dans ce que vivent les résidents. Une fois que le déclic se fait, qu’il y a une acceptation de ce qu’on vit, alors, la vie s’exprime pleinement.
La question de comment le résident reste acteur de sa fin de vie est centrale dans le séjour en EHPAD, le travail de l’équipe, de la famille prend un sens.
Centre National Fin de Vie Soins Palliatifs : Vous avez mené une réflexion autour de la fin de vie mais est-ce qu’il est prévu une réflexion sur l’accueil de la personne en EHPAD ?
Marie-Odile Vincent : Non, mais rien n’empêche de le faire. C’est une question intéressante, à mettre en réflexion.
La démarche réflexive a inclus tout le personnel, tous métiers confondus. La mort n’est pas que l’affaire du corps médical. Donc, il y a eu un travail pour établir une liberté de parole et une liberté d’expression des émotions. Le partage des émotions est important : il n’y a pas de frontières entre le personnel et les résidents. Par exemple, un résident est venu prévenir la direction que les jeunes en service civique lui sont tombés dans les bras après le décès d’une résidente. Elles se sont senties libres d’exprimer leurs émotions auprès du résident et lui, s’est senti légitime à venir le rapporter à la direction pour que nous prenions soin des jeunes filles.
Lors des groupes de travail, l’EHPAD a fait appel à un anthropologue (Eric Minnaërt) pour parler de la mort et des rituels funéraires. Par exemple, la sortie des corps a été questionnée dans la réflexion : le personnel et les résidents ont demandé que les pompes funèbres fassent sortir le corps du défunt par la grande porte. A la suite de cette décision commune et à mesure qu’elle s’appliquait dans l’EHPAD, il a été mis en place une haie d’honneur pour que personnels et résidents rendent hommage au défunt. Les agents des pompes funèbres ont participé à identifier le problème et jouent leur rôle dans cette sortie du corps scénographié.
Cette haie d’honneur est très puissante car le travail de l’EHPAD s’arrête techniquement lorsque la personne meurt. La toilette mortuaire permet aux infirmières de dire au revoir. La haie d’honneur, quant à elle, fait le lien entre le soin au résident et le soin aux familles. C’est le premier pas vers le travail de deuil qui se fait dans ce lieu de vie que représente l’EHPAD. Ce rituel fait sens pour tout le monde. Un résident a exprimé, après une haie d’honneur : « bah ici, on ne meurt pas comme des chiens ».
Les départs cachés, c’est ne pas interrompre le fonctionnement de l’institution et là, la mort est mise en avant… mais aussi la vie.