Une clarification des concepts
L’un des premiers efforts du groupe a consisté à tenter de mieux distinguer ce que sous-entendent les différents termes liés aux soins palliatifs : soins palliatifs, soins palliatifs de fin de vie, démarche ou approche palliative, culture palliative, médecine palliative. Au terme de ce travail, sans prétendre faire adopter par tous ses choix, mais pour clarifier ce que lui entend par ces différents termes, le groupe propose la synthèse suivante :
- Pour la population le terme de « soins palliatifs » renvoie à « soins palliatifs de fin de vie » ou « soins palliatifs terminaux ». Qu’on le déplore ou non, il semble difficile de pouvoir changer cet entendement sémantique installé. Pour autant, dans ce document, il est spécifié à chaque fois que possible si on parle de soins palliatifs de fin de vie ou de « démarches palliatives précoces » ou « intégrées ». En effet, le groupe a estimé quant à lui nécessaire de distinguer les deux dans son analyse, de façon à bien insister sur le fait qu’il ne fallait pas que les soins palliatifs en général se développent aux dépens des soins palliatifs de fin de vie/terminaux.
- « L’approche » ou la « démarche palliative » se définit comme une démarche centrée sur la prise en charge holistique d’un patient, avec une plus grande priorité accordée au sens du soin, à la qualité de vie, aux valeurs du patient et à la prise en compte de son entourage plutôt qu’au curatif avant tout. Une prise en compte des symptômes restant systématique (évaluation, traitement). Elle devrait inspirer la médecine bien au-delà de la stricte prise en charge des patients en fin de vie, même si elle s’est développée historiquement au chevet des personnes en fin de vie.
- La « médecine palliative » est le terme consacré par ceux qui plaident pour une spécialisation disciplinaire de la démarche palliative précédemment décrite. Il s’agit par-là de soutenir la création d’une nouvelle discipline médicale, aux côtés de celles qui existent déjà, comme la cancérologie, la gériatrie, la neurologie. L’objectif est de penser qu’une telle spécialisation permettrait de repenser toute la médecine à partir du paradigme de démarche palliative tel que défini ci-dessus, ce qui pourrait être utile pour les patients bien au-delà de la seule situation de fin de vie. L’avantage de spécialiser – et donc d’universitariser la médecine palliative – serait aussi de professionnaliser encore davantage la prise en charge de la fin de vie et donc potentiellement de l’améliorer, en favorisant sur ce sujet le développement d’une activité d’enseignement et de recherche, apanages de l’universitarisation.
- Enfin, la « culture palliative » est le terme retenu par le groupe pour désigner l’acculturation générale de la société aux questions de fin de vie, qu’il appelle de ses vœux parce qu’il pense qu’elle serait l’un des moyens les plus efficaces pour améliorer les conditions de la fin de vie en France.
Les liens entre soins palliatifs et médecine palliative
Les travaux du groupe l’ont conduit à conclure qu’en tant que groupe de travail du Centre National Fin de Vie Soins Palliatifs, sa priorité se devait de rester focalisé sur la question du meilleur accompagnement possible des patients en fin de vie. Sur le point de savoir si ceci passe par la création d’une spécialisation de médecine palliative, les exemples dont il a eu écho de l’étranger ainsi que les différentes interventions entendues en provenance d’autres disciplines (pédiatrie et gériatrie) lui ont apporté des arguments contradictoires : plutôt en faveur d’une spécialisation – l’exemple de la Suisse, et dans une moindre mesure le point de vue des gériatres auditionnés par le groupe ; plutôt en faveur d’une intégration de la culture et du savoir-faire palliatif à l’ensemble des disciplines et à tous les étages de la prise en charge soignante – l’exemple de la Belgique et le point de vue des pédiatres entendus dans le cadre de ces travaux. Ainsi, pour le groupe, les deux logiques sont susceptibles d’avoir des avantages et des inconvénients en termes de qualité de prise en charge des patients en fin de vie. A ce stade, s’il reconnaît que la question de la constitution de la médecine palliative en tant que spécialité ou discipline médicale est une vraie question, notamment pour les raisons qui ont été détaillées en introduction – et qui fait l’objet de nombreux débats également à l‘international –, il lui semble qu’il n’est pas de son rôle d’y répondre. C’est une question qui relève davantage de la logique universitaire et/ou (inter)disciplinaire que de celle qui a vocation à organiser l’accompagnement en fin de vie.
La nécessité d’une plus grande acculturation de la société dans son ensemble à la question de la fin de vie ou d’un plus grand développement de ce que le groupe nomme la « culture palliative ».
C’est l’une des principales conclusions de ses travaux sur lesquelles le groupe souhaite insister : il plaide pour qu’un effort plus intense soit entrepris pour améliorer l’acculturation de la société en général à la question de la fin de vie, dans le sens d’une plus grande appropriation par tous des questions ayant trait à l’accompagnement de fin de vie, soignants à tous les étages du système de soins comme citoyens.
Selon lui, ceci passe notamment par les étapes suivantes:
- Mieux savoir reconnaître et nommer le moment de l’entrée en fin de vie
- Davantage associer les proches dans la reconnaissance de ce moment, et en amont pour qu’ils s’y préparent, dans une relation plus systématiquement triangulaire entre le patient, ses proches et l’équipe soignante
- Proposer aux citoyens et aux patients tout au long de leur parcours de soins, des espaces/occasions répétées de parole où la question de la fin de vie peut être abordée, sans que cela soit pour autant perçu comme une injonction d’en parler
- Mieux faire connaître ce que sont les soins palliatifs de fin de vie et le rôle qu’ils ont dans l’accompagnement de fin de vie
- Valoriser et favoriser le développement des initiatives citoyennes qui émergent en matière d’accompagnement de la fin de vie
Fin de vie ne veut pas systématiquement dire démédicalisation
Le deuxième message sur lequel le groupe souhaite insister à l’issue de ses travaux est celui du nécessaire découplage, selon lui, entre démédicalisation et soins palliatifs de fin de vie. Il considère que l’idéal des soins palliatifs reste encore trop souvent centré sur l’idée de « démédicalisation », pour laisser la mort survenir de façon « naturelle ». Or, il n’est pas sûr que cette démédicalisation soit toujours ce qui permet au patient le meilleur confort en fin de vie. Par ailleurs, elle ne correspond plus systématiquement aux souhaits et aux réalités des patients contemporains. Les parcours de soins en amont de la fin de vie sont souvent extrêmement médicalisés et la volonté d’un patient peut être que sa fin de vie le reste au moins dans une certaine mesure : il peut dire clairement qu’il ne veut pas d’obstination déraisonnable, par exemple, ce qui ne signifie pas qu’il ne souhaite pas être accompagné dans sa phase terminale par toute la technicité dont la médecine est capable, notamment pour faire face à une complication cataclysmique, soulager la douleur, la souffrance, voire être endormi profondément. Les professionnels de soins palliatifs membres du groupe ont fortement insisté sur l’idée qu’il était indispensable que les équipes soignantes accompagnant les patients en fin de vie – et notamment les équipes de soins palliatifs – continuent de rester en pointe en matière d’expertise pharmacologique et technique pour pouvoir proposer aux patients le meilleur de la médecine jusqu’au terme de leur existence. En tout état de cause, la prise en charge et son éventuelle médicalisation doivent être adaptée aux besoins et aux demandes des patients.
En effet, la prise en charge de la mort ne saurait ignorer le modèle social contemporain. Elle se doit d’évoluer parallèlement à ce dernier. Pour beaucoup de patients, il est important d’aller au bout des possibilités thérapeutiques, puis à un moment la bascule se fait vers la fin de vie. Ils attendent alors d’être accompagnés et soulagés par des traitements palliatifs, mais parfois aussi ils expriment le souhait d’une fin de vie qui ne se prolonge pas trop longtemps. Ainsi, au bout de la vie, beaucoup des patients contemporains attendent de la médecine qu’elle continue d’être présente, qu’elle ne les abandonne pas.
On l’a vu, qu’il s’agisse de patients atteints de cancer à qui l’on annonce la fin des chimiothérapies, de patients atteints de SLA qui ont chacun des seuils différents de demande thérapeutique, d’enfants atteints de maladies neurodégénératives ou de grands prématurés en néonatalogie pour lesquels il est finalement décidé d’interrompre une réanimation dont il a été jugée qu’elle était devenue déraisonnable, il s’agit de passer d’une phase de médicalisation extrêmement agressive et intense à une phase d’accompagnement de fin de vie. A ce stade, les souhaits et besoins des patients peuvent être différents, mais cette phase exige souvent d’autres formes de médicalisation, destinées à soulager la douleur, assurer le confort, prendre en charge de nouveaux symptômes, ou mettre en place une sédation. Toutes thérapeutiques qui nécessitent des compétences techniques particulières et un degré de professionnalisation à acquérir et perpétuellement remettre à niveau comme dans tous les champs de la médecine. Ainsi, l’idée de « mort naturelle », totalement démédicalisée, paraît-elle être devenue incongrue dans le cadre de la société contemporaine. Aujourd’hui, la démarche palliative se doit de contenir un certain degré de technicité médicale, à ajuster en fonction des besoins et de la demande du patient. Il s’agit d’associer des traitements aussi bien curatifs que palliatifs pour lui assurer une continuité de prise en charge et le rassurer, lui et ses proches, dans le fait qu’il n’y aura pas de rupture de compétence au moment de la survenue d’une ultime complication.
Une impérieuse nécessité de développer encore les ressources en soins palliatifs de fin de vie, et notamment les structures d’accueil de type USP.
Une préoccupation centrale du groupe à l’issue de ses travaux concerne l’offre sanitaire. En effet, les moyens en structures et ressources de soins palliatifs de fin de vie peinent à devenir suffisants, malgré les plans nationaux successifs[1] et il ne faudrait pas que la diversification des tâches et des intérêts des équipes de soins palliatifs rende encore plus difficile l’accès aux ressources disponibles.
Il n’est pas question de défendre l’idée que tous les patients devraient pouvoir mourir dans un lit de soins palliatifs, ne serait-ce que parce que ce n’est pas forcément le meilleur choix pour tous. Mais le groupe s’est inquiété d’entendre que se multiplient en USP les séjours de répit par exemple, ou les séjours courts pour réajustement de prise en charge, aux dépens de séjours plus longs, permettant de garder les patients dans une même unité jusqu’à leur décès, sans leur faire subir plusieurs transferts ou allers et retours à ce stade de leur parcours. Le groupe ne conteste pas la pertinence de cette nouvelle activité palliative plus diversifiée, mais alerte sur le fait qu’elle pèse sur des structures déjà trop peu nombreuses et qu’elle remette en cause le rôle jusque-là dévolu aux USP. Ces dernières ne sont-elles pas en train d’adopter un mode de fonctionnement qui ressemble plus à une prise en charge aigue qu’à un accompagnement de fin de vie jusqu’au bout ? Est-ce souhaitable ? Ne faut-il pas maintenir des lieux d’accueil et d’accompagnement de la fin de vie qui restent fidèles à la vocation d’origine des USP, de lieux où l’on vient pour mourir parce que c’est là que l’on se sentira le plus en paix, serein et sécurisé, du fait de sa pathologie ou de l’impossibilité pour soi d’un accompagnement à domicile, quelle qu’en soit la raison ? Pour le groupe, il convient certes de développer l’acculturation de la société en général, et de l’ensemble des soignants, toutes spécialités médicales confondues en particulier, aux enjeux d’un meilleur accompagnement de tous en fin de vie. Mais ceci ne doit pas se faire aux dépens du développement des moyens dédiés et spécialisés en soins palliatifs de fin de vie, qui restent encore notoirement insuffisants chez nous, et dont le modèle le plus abouti aujourd’hui reste les USP, même si d’autres prises en charge innovantes se développent comme les maisons de vie ou les maisons de répit qu’il convient de valoriser.
[1] Quatre plans nationaux de développement des soins palliatifs ont été mis en place depuis 1999. Le plus récent couvrait la période 2015-2018.